«La pensée pense ce qui la dépasse infiniment»




2010-10-26

balade à vélo.


J'ai toujours tes cheveux,
enroulés autour de mes chevilles.
J'ai toujours ton regard, bleu,
au creux du mien. Fermé.
Ce que racontaient tes yeux,
je n'ai jamais su le déceler.
Adieu.
Ou encore... … … Ils vacillent.

Un couloir de feuilles d'automne, de jaune et de rouge. Tapisserie en forme de lentes traînées de peinture qui bordent ma route. De jaune et de rouge. J'avance. Voudrais ne jamais m'arrêter. À chaque coin de rue, une force m'oblige à freiner, et je ralentis, doucement, je ralentis, jusqu'à l'immobilité de mes pieds nus sur l'asphalte. Le jaune et le rouge prennent forme, réintègrent l'espace du monde réel dissipé par le mouvement, la vitesse, qui transforme les choses en traces. À chaque arrêt, tout redevient abrupt, solide, aiguisé. Les formes sont dures et je préfère leur liquéfaction momentanée lorsque je roule.


Je roule, vite, plus vite, et chaque intersection m'oblige à arrêter. À perdre de vue ma course, infinie, ma course, impossible, vers la fin de ce tunnel de jaune et de rouge. Mes freins ne fonctionnent pas bien. Je dois utiliser la force de mes pieds, pour ralentir mon élan. Mon élan est ce qui me permet de transgresser chaque moment, de l'outrepasser avant même qu'il ne se produise. Mes roues sont telles des propulseurs d'espoir, qui avancent, même sans moi, qui persistent, résistent à la froideur des routes. Me portent. Je les laisse me porter. Mes jambes, musclées, mes jambes, de plus en plus adaptées à ma course, fendent l'air de leur danse infernale en cercle autour des pédales. Mes mains, gelées, enserrent chaque poignée, les tiennent pour s'accrocher au décor. La route. Toute parsemée de jaune et de rouge. Les couleurs s'allongent sur mon passage, m'enveloppent dans leur tunnel illégal de beauté. De lumière.

J'ai toujours tes cheveux autour de mon poignet. Mon gage d'absence.

L'icône de mon ridicule.

Mon ridicule qui roule sur les rives d'une route sans raison ni relâche.

Mon ridicule qui résonne dans les rues, ravaudant au détour d'un rêve.

Qu'on me pardonne la folie du ridicule.

Mon ridicule qui déambule, circule, recule, bascule, stimule, accule AU MUR.


Et si mes pieds ne répondaient plus aux stimuli extérieurs? Si la prochaine intersection me laissait sans freins ou dans l'incapacité de? L'incapacité de freiner. Le désir d'avancer à toute allure, sans penser, le désir d'oublier avant même de réfléchir, avant même de vivre l'instant. L'instant dans lequel tout s'effondre sans même prendre le temps de se taire. De respirer. À quoi bon arrêter devant les sémaphores qui scintillent de jaune, puis de rouge, si le décor semble se volatiliser à mon passage? À quoi bon cesser ma course triomphante si le paysage s'étiole et tend à disparaître, les couleurs s'entremêlant, devenant de plus en plus diaphanes? À quoi bon arrêter si je suis déjà au-delà de ce mur, hors ces trois dimensions qui moulent mon corps en un bloc constitué de surfaces apparemment existantes et palpables?

Je n'ai pas su arrêter.

Ou n'ai pas pu.


J'ai déchiré la toile d'un bruit fracassant de roue rouillée et de roulade ratée sur le rebord de la route. La tapisserie s'est brisée devant moi, laissant voir ses entrailles blanches (l'envers d'un décor est toujours blanc) et me permettant d'entrer où je n'existais plus. D'entrer dans une autre dimension, inaccessible à l'humain, où les limites du réel se confondent dans l'espace et le temps. Seuls les fous peuvent y résider un moment, avant d'assister, à rebours, à leur perte matérielle. Le passage dans l'autre dimension n'est pas sans douleur.


Mon corps recroquevillé et tranquille s'allonge fébrile sur l'allée déjà lointaine d'une longue lourdeur légère.


Ne laissant qu'une tache informe. Orange.


Couleur ridicule.