«La pensée pense ce qui la dépasse infiniment»




2011-09-10

o cinto.

Une ceinture noire repliée repose nonchalamment dans le fond de mon tiroir. Ce même tiroir où se côtoient tous mes souvenirs, ce tiroir à double-fond qui cache ce qui ne peut être montré. Ce tiroir qui, en surface, fait voir les objets, et sous lesquels réside cette essence invisible qui les définit sans les définir, les laisse se déployer, tout simplement. Comme dans ce conte pour enfants où les objets s’animent la nuit. Mes souvenirs sont semblables à ce soldat de plomb qui part à la rescousse de sa belle une fois la mort du jour. Le fond de mon tiroir paraît vide et est pourtant rempli de mouvements, d’odeurs, de musique, de couleurs, de magie. Hors temps. Le temps n’a rien à voir avec la longueur des jours, il ne se compte qu’en quantité atmosphérique de mystères. Le temps est perceptif, tout comme la mémoire. La ceinture noire attire mon attention. Je la prends dans ma main : elle est fine, brillante, effilée et soyeuse, elle se déroule sous mes doigts comme une longue histoire sans fin. Elle n’a comme attache qu’un embout de métal instable, qui retient à peine la ceinture de tomber. Elle glisse sur les hanches, toujours en déséquilibre, elle glisse sur les hanches qui se meuvent sous la lueur de la lune presque pleine.

Je caresse les hanches, les tiens contre moi, je revois ton visage dans la lumière du phare éteint, je reconnais ton sourire qui illumine la nuit, tes yeux de félin qui transpercent les miens à chaque pas de danse. Je tente de suivre ton rythme, mais tu es plus habile que moi, tes pas s’harmonisent avec la lune alors que les miens tentent en vain de suivre ton ombre sous l’arbre à-demi éclairé. Ta peau est douce, froide comme la nuit, mes doigts tremblent dans ton dos alors que ma voix se perd plus loin vers la mer de ton oreille collée à ma bouche. «Cante alguma coisa em francês». Tu veux que je chante, que je chante «La vie en rose», que je chante «Ne me quitte pas», que je chante à en perdre haleine, à en perdre le mouvement que m’impose ton corps, que je chante à en rire dans ton cou nacré. Que je chante jusqu’à ce que la proximité de ta bouche m’étourdisse et que le bruit des vagues m’enivre, que je chante jusqu’à ce que tes lèvres frôlent mes joues, les embrassent, et que les miennes s’épanchent sur les tiennes à la fin d’une note. Je perds pied. Je nage dans la mer qui se déchaîne derrière nous, je suis entre les pages d’un livre de Jorge Amado, prisonnière d’une nuit de tempête dans les ports du Recôncavo. Je suis dans cet endroit fantastique qui n’existe que dans mon imagination. Nos langues tournent maintenant au rythme de la musique qui est restée dans nos têtes et ta ceinture courtise mon bassin, le met au défi, le nargue gentiment.

Ta ceinture est noire comme ta camionnette. Cette camionnette que tu conduis rapidement et sans précaution, en fumant d’une main et en me regardant de l’autre. «Entra!!», me cries-tu en passant à mon niveau alors que je monte l’avenue 7 de Setembro, et en forçant l’ouverture de la porte côté passager. Ta camionnette fait un bruit d’enfer et est encombrée de choses étranges qui se claquent les unes contre les autres, les bancs arrières bougent d’un côté, puis de l’autre, étant mal amarrés, et toutes les fenêtres sont teintées de noir. Tu peux tout faire en conduisant : fumer, boire, manger du chocolat (ce chocolat extraordinaire truffé de «cupuaçu» un fruit brésilien fantastique que l’on partage avec les dents), me complimenter «você é tão linda», demander des indications aux mendiants sur le nom des églises en leur criant «valeu!», sourire, rire à gorge déployée, me raconter ta vie, me laisser te raconter la mienne, me poser des questions indiscrètes. Tu peux conduire toute la nuit, sans te fatiguer, me mener dans les endroits les plus saugrenus, me faire découvrir Salvador sur les routes maintenant désertes. Arrêter à tout moment pour me montrer une église, une rue, une maison, une statue, un arbre, une pierre. Rester dans la voiture à filmer un homme à moitié fou et/ou à moitié soûl hurler avec les bras dans les airs sur le porche de l’église de Santo Antonio. Toujours me laisser entrevoir une nouvelle perception de chaque chose, me faire entrer dans la quatrième dimension, prendre le temps d’observer ce que le marcheur quotidien oublie de regarder. Je voyage aux airs de la Capoeira qui résonne à minuit dans l’église, qui reprend toujours la même intonation au Berimbau, me mène dans une transe joyeuse. Me donne envie de franchir toutes les barrières. Tu me donnes l’impression que je vais au bout du monde. On tourne en rond sans fin pour trouver cette maison jaune de l’ami artiste à jamais restée secrète, on roule sans fin, plus loin, encore plus loin, jusqu’au phare de Itapuã, jusqu’à ce moment où ta ceinture danse avec moi et le vent, sous les regards timides des hommes près du feu.

«Quer dormir comigo?». Tu me demandes de dormir avec toi, en prenant mes mains dans les tiennes, devant la camionnette. «Eu quero». La peur me prend au ventre, mais je fais confiance à cette voix, cette même voix qui est la tienne et la mienne, et celle du Monde. Cette même voix qui m’indique que rien n’est coïncidence, que les évènements se forment autour de moi, que les faits se déforment, que les sensations me submergent, que la mer me parle, que chaque glissement sur la route me laisse de la terre sous les orteils, que la lumière provient de ce que je donne à l’univers qui me le rend ensuite, que la réverbération de mes pensées sur les choses est comme un miroir qui me confère toujours le sentiment que tout a un sens ou que rien n’existe que l’instant. Cette voix qui parfois sonne beaucoup trop fort comme les tambours de candomblé, qui monte et me prend à la gorge, cette voix qui parfois se tait complètement pour me laisser écouter son silence, ce silence qui est également voie. Cette ceinture, noire, je devrai la lancer dans la mer, la donner en sacrifice à Iemanjá, déesse de la mer, afin qu’elle protège, dans l’oubli profond de ses entrailles bleues, ta lumière.

Tu me mènes dans un motel au nom disgracieux, où chaque chambre a un garage intégré et des néons bleutés éclairant la chambre. Tu éteins les phares de ta camionnette. Un frisson d’appréhension traverse mon corps, des pieds à la cime de la tête. Tu me prends d’assaut sur le carrelage gelé après avoir enlevé d’un geste tes chaussures, et ta ceinture. Tu appelles le garçon pour qu’il apporte, d’un air gêné, des allumettes, et tu commences à fumer en me toisant du regard, avec ce sourire qui rappelle celui d’un enfant. Avec tendresse. Je deviens comme invisible, envahie par ta présence, mes lèvres comme devenant les tiennes, mon corps ne m’appartenant plus, mes gestes comme l’écho des tiens, mon esprit divaguant dans une chanson, un air, une respiration, une bouffée, toujours partagée. Un désir fou qui me perd et je disparais, je n’ai plus aucune vision de moi, de mon corps, de mes sensations. Plus de distance entre moi et moi, qu’une forme informe emportée par la houle de nos ébats, une connection étrange avec ce qui est infiniment plus grand que moi, qui me dépasse, m’enveloppe, me transporte. «Quem me navega é o mar».

Au réveil, je suis seule dans un lit rond en forme de dune, ne restant avec moi que cet objet noir qui encerre si bien ta taille comme témoin matériel d’une nuit que je ne peux raconter. J’ai bien peur de l’avoir déjà perdue, cette nuit qui me paraît maintenant à des années lumière, en ayant tenté de la recréer par des mots. Vous l’avez vue s’évanouir gracieusement sous ma plume, se dématérialiser. Comme vous regardez parfois le soleil se coucher derrière les montagnes, mon histoire est éphémère et ne laisse que des traînées oranges dans le ciel. Avant la noirceur. Mon histoire a un double-fond qui m’est impossible de dire, tout comme ce tiroir, que je referme à l’instant.

Je détourne le regard vers le paysage enneigé que laisse entrevoir ma fenêtre. Mes efforts pour me rappeler sont aussi vains que ceux employés pour oublier.

Ne reste que la matérialité noire d'un rêve blanc sur fond givrée de vitre.

Un battement de paupières.

2011-09-03

travessas do desejo.

 



Ainda tenho o seu cheiro nos meus poros
Se espalha na minha cama, na minha mente
no meu respirar.
Cabe o seu cheiro, essa maresia sua,
no universo fechado da minha loucura
Cheiro doce e suave de felina.

Ainda sinto o seu peito contra meu
Persiste o seu corpo me tocando,
me acariciando
A sua língua buscando, no recôncavo
os lugares mais férteis e secretos,
do largo do Porto da minha fantasia
Me fura o seu olhar de-cadente de estrela

Ainda estou ouvindo música no luar
Surgem sombras de mulheres dançando
Se aprisiona no meu sexo sua voz
Suspira o vento ao amanhecer
Paraíso entre minhas pernas.

Agora eu tenho para me guiar
Apenas a luz dum farol apagado
Os seus braços que me seguram
O seu sorriso que me alumia.

Até cair
Até cair do outro lado
Até romper a trama da realidade, rasgar tudo, entrar no momento puro
e sem fronteiras, nem tempo, nem hora, nem noite, Nem dia.

Até perder o norte
Até entrar na escuridão dos nossos dois olhares de cego
Olharemo-nos com as mãos, com a boca, com a língua, com os dentes

Correremos na areia esgotando a respiração vermelha
Correremos até chegar ao ponto da estrada que tem fim em forma de duna
Que tem fim em forma redonda de cama
Que tem fim com parede abrindo pelo mar, pela eternidade dum renascimento

Sem fim.