«La pensée pense ce qui la dépasse infiniment»




2010-07-21

mon double (ou la moitié de moi).

Quelqu'un, quelque part, possède mon nom, mon année de naissance, ma signature, un permis de conduire que je n'ai jamais eu, et tout mon argent.
Et je n'ai aucune idée qui est cette personne, et pourtant j'ai l'impression qu'elle a tout de moi sans rien avoir.

Ce que je suis ne tient dans aucune carte ni aucun numéro; ce que je suis se répand de plus en plus, et se déverse vers l'extérieur, «torrente selvagem de mim».

Ce que je suis n'est pas intègre ou juste ou singulier ou parfait ou cohérent ou moral ou construit ou simple ou entier.

Être une personne entière. De la tête aux pieds. Du cœur au cerveau. De la racine des cheveux aux bouts des ongles. Être en soi-même tellement imbu de sens que l’on s’érige tel un monument national, un arène, un théâtre. Un seul nom, une seule signature, «uma unica lingua», deux initiales pour un tout.
Solide.

Puis, il y a le déchirement, le démantèlement de l'être unique et précieux. Son dédoublement imprévu.
Je suis maintenant multiple et dispersée et je me perds dans une mer déchaînée de non-sens ou de polysémie. Je tends vers la pluralité et mes bras sont tels de longues racines qui poussent et se répandent dans cette terre humide et fertile. «Cheia de pensamentos e de complexidade».
J'ai vu mon double filer avec la totalité de mon compte en banque et j'ai souri.
Je ne suis pas ce que j'ai ni ce que je parais être. Je suis un mouvement.
«Estou uma enigma, um segredo».

Être mon double. Me décupler. Ne plus répondre à aucune loi. En sortant du système, en orbite de la terre, je serai ravie de me voir, avec la mallette pleine d'argent et un immense chapeau de forme ovale et penchant légèrement vers l'avant.
«Estou livre».
«Nous sommes libres», je l'entends répéter. Elle est près de moi. Je ne connais pas son nom, mais elle sait tout de moi. Enfin, elle connaît les lettres qui composent mon nom.
Et l'initiale.
m.

Je l'attends. Comme toi je t'attends. Dans cette autre réalité tout aussi réelle que la précédente, l'actuelle ou celle qui suivra. Peut-être même te trouves-tu avec elle en cet instant.

Elle porte un large chapeau et son rire résonne dans les profondeurs de l'océan.
Elle fume paisiblement une cigarette sur le bord du quai.
Elle est avec toi.

«Feliz».

Et je ressens sa joie au même moment.